Décembre
1864
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Un conflits.
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Un
de ces conflits particulièrement précieux pour les journaux et pour
les hommes qui travaillent de nos jours à l'humiliation du clergé,
afflige en ce moment les bons esprits de la commune de Vains, voisine
d'Avranches. Le maire de Vains, ayant cru remarquer dans un sermon du
curé de cette paroisse certaines allusions blessantes pour sa personne,
avait déposé contre ce digne prêtre une plainte en diffamation.
Le
tribunal d'Avranches, devant l’insuffisance des témoignages fournis
par l'accusation, avait renvoyé M. le curé de Vains des fins de la
plainte.
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supposait que, dans l'intérêt de tout le monde, ce malheureux procès
en resterait là, lorsqu'il y a quelques semaines, le bruit a couru à
Vains et aux environs que M. le procureur impérial d'Avranches avait
interjeté appel de la sentence des premiers juges. Ce bruit n'avait
rien que de fondé. L'affaire de M. le procureur-général contre M.
l'abbé Dupont, curé de Vains, sera appelée, si nos renseignements
sont exacts, à l'audience du 14 de ce mois, devant la 4e
Chambre de la Cour impériale de Caen, présidée par M. Lemenuet de La
Jugannière. Me
Carel dévoue son beau et consciencieux talent à la défense de
M. le curé de Vains.
Nous
donnerons de cette affaire le seul compte-rendu que la loi nous autorise
à publier, c'est-à-dire le libellé de l'arrêt.
Il
n'est pas besoin, du reste, d'être ce qu'on nomme si plaisamment cérical
ou ultramontain pour désirer que les griefs de M. le maire de
Vains aient, devant la Cour impériale de Caen, le même sort que devant
le tribunal d'Avranches. En face d'une législation qui protége d'une
façon aussi exorbitante que la notre les fonctionnaires de l'ordre
civil, les hommes doués simplement d'équité et de bon sens comptent
toujours un peu sur les appréciations souveraines des tribunaux pour
compenser les singulières inégalités que consacre la loi. Supposons
un instant que M. le maire de Vains, ou tout autre maire de L'Empire, se
soit laissé entraîner, dans l'exercice de ses fonctions, jusqu'à
injurier le curé de sa paroisse. Dans
ce
cas, qui peut assurément se présenter, le prêtre offensé devra
poursuivre devant le Conseil d'État l'autorisation de demander justice
aux tribunaux, et la statistique démontre qu’en pareille cas le
Conseil d'État refuse plus souvent qu'il n'accorde les autorisations de
ce genre. Il pourrait donc arriver, sous le régime de la législation
actuelle, qu'un curé, ayant reçu ou prétendant avoir reçu une injure
d'un maire revêtu de son écharpe, ne put obtenir justice contre lui,
tandis qu'un maire a comme on le voit, toutes les facilités possibles
pour actionner le prêtre en surplis et pour constituer les tribunaux
interprètes du sens des cérémonies de l'Église.
Serait-ce
que, depuis 1789, qui a dû faire triompher partout le principe
d'égalité, l'honneur d'un prêtre ou d'un simple citoyen vaut moins
que l'honneur d'un fonctionnaire public ? Ces réflexions nous sont
venues à propos de l'affaire de M. le curé de Vains ; mais il y a
longtemps que tout le monde les fait, en réclamant l'abrogation de
privilèges qui ne sont plus de notre époque, puisqu'ils choquent à la
fois le sens commun et les idées de véritable justice. (l’Ordre et
la Liberté)
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